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l'Extincteur
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l'Extincteur
11 mars 2008

M

M. Cette idée là m'est venue en première, je crois. Avec ma découverte du métal. Je m'étais dit qu'un jour, j'allais me faire un super groupe de métal malsain et horrible, et avec délectation, j'avais imaginé le "personnage" que je serai. Au début, je pensais juste à cette nouvelle personne comme quelqu'un que je serai, un jour, et puis le personnage a peu à peu pris de plus en plus de place. Aussi débile que ça puisse paraître, j'ai fini par me mettre en tête que pour être heureuse et exister, je devrais d'abord tuer la personne que j'étais à ce moment là.

Il y a toute cette histoire de prénoms que vous devez d'abord bien comprendre. Mon nouveau personnage s'appelait M. Moi je m'appelais A (je mets pas le prénom complet). C'est un prénom que j'ai toujours détesté. Ma mère l'avait choisi avec beaucoup d'amour, et sans tenir compte de l'avis de mon père, qui voulait pour moi un prénom vietnamien, selon ses origines. Mais bon, comme il la faisait chier, elle s'en est débarrassé un peu avant ma naissance. Ce fut donc A, prénom typiquement français, tiré d'un bouquin de Lewis Carroll. On vivait en cité, quand j'étais enfant, et tous les autres prénoms qui m'entouraient étaient étrangers, Arabes pour la plupart. Bref les autres passaient leur temps à se payer de ma tête et je détestais ça. J'ai haï mon prénom à partir de la maternelle, et plus le temps a passé, et plus ça s'est amplifié. Au lycée, je me reconnaissais plus du tout dans ce nom là. A mes yeux, il représentait la petite fille à sa maman, celle qui se faisait marcher dessus par tout le monde, qui passait pour une barge parce qu'elle tapait sur ses petits camarades à tort et à travers, celle qui étaient coincée et complexée et je détestait cette image. M, elle, était tout le contraire.
Je la voyais pas forcément bien dans sa peau (c'était sans doute trop demander), mais elle avait de la force, du courage, et surtout, elle était terriblement sauvage, maigre et inapprochable. Dans mon esprit, c'était quelqu'un qui faisait peur.

J'ai petit à petit engagé une guerre entre les deux personnages, entre les deux prénoms. Il fallait que M tue l'autre pour pouvoir renaître. A côté de ça, tout allait très mal, mes relations avec ma mère étaient catastrophiques, mon père faisait un peu du n'importe quoi, j'étais très seule - et j'ai foncé dans la scarification. Quand je le faisais, au début, j'avais encore conscience que c'était pas un truc génial, mais plus le temps a passé et plus j'étais inconsciemment guidée par l'autre, par M. Je sais pas à quel moment j'ai vraiment perdu les pédales entre la réalité et l'imaginaire, mais je commençais, chez ma mère, à me sentir régulièrement observée, par une femme, maigre, avec des grands cheveux noirs. ça me faisait péter des plombs monstrueux, et en pleine panique, soit je n'osais plus bouger, soit j'allais me couper, soit je balançais tout dans la pièce.
Un soir, ma mère m'a surprise en train de me taper la tête contre les murs. Après avoir hurlé (les voisins allaient m'entendre, je faisais un boucan d'enfer), elle a décidé d'appeler les pompiers parce qu'elle savait vraiment plus quoi faire. J'ai jamais été autant indifférente à ce que ma mère pouvait faire ou pas, je crois. Et comme les pompiers ont trouvé que c'était vraiment pas quelque chose de grave, personne n'est venu. Le lendemain, avec ma mère, on s'est mises d'accord pour que je me prenne un apparte pendant les vacances d'été, des fois que ça aille mieux après. J'avais 17 ans, c'était un peu avant de passer le bac.

L'apparte a été trouvé très vite, par chance. A partir de début juin, je vivais dans une petite chambre de 9m², pour mon plus grand bonheur. Ma mère avait suffisamment de quoi me nourrir et payer le loyer misérable que ça impliquait, et je devais retourner la voir tous les lundis - va savoir pourquoi. Je n'ai rien remis en cause, j'ai tout accepté. J'étais ravie, je pouvais inviter des gens quand je voulais, faire dormir mon mec chez moi, et rester seule quand je le voulais aussi.

En fait, c'est surtout les moments de solitude qui me rendaient barge. Je me rappelle de cet été que je suis en fait pas mal restée enfermée, sitôt mon bac eu. Je lisais bouquin sur bouquin, je me faisais des orgies de bouffe, je me coupais avec tout ce que j'avais sous la main. Mais le pire, c'était les crises d'angoisse. M était plus que présente, je n'osais parfois plus me regarder dans les miroirs, de peur de la voir. J'écrivais sur mon journal des choses dont je me rappelais plus à la relecture, il m'arrivait de ne plus reconnaître mon visage, mes mains, mes bras quand je me voyais. C'était terrifiant. Je terrifiais aussi B (j'étais déjà avec lui à cette époque) quand je lui disais que je me sentais regardée, que j'étais pas seule dans ma tête etc.

J'ai dû rentrer chez ma mère en septembre, après m'être imaginé toutes les façons possibles et imaginables d'avoir des thunes et me barrer de chez elle une bonne fois pour toutes. J'avais tout imaginé, mais je n'avais rien fait, et j'étais déscolarisée. Du coup, le retour chez elle a été encore plus violent.


J'avais pourtant pris de bonnes résolutions vis à vis de ma mère; je m'étais dit en rentrant que j'allais plus fermer ma gueule, j'allais l'ouvrir dès que quelque chose clocherait. Je l'ai fait, pendant un mois environ. On s'engueulait plusieurs fois par jour et elle ne comprenait strictement rien, alors j'ai fini par me taire. Je suis devenu une sorte de légume, silencieux et bouillonnant. Les principaux souvenirs que je garde de cette période sont liés à ma fenêtre. Je n'osais plus me pencher au bord, parce que j'avais l'impression que quelqu'un, ou quelque chose, ou moi-même, allait me balancer de l'autre côté. En même temps, je pouvais pas m'empêcher d'y aller, plus près, toujours plus prêt. J'allais au karaté deux fois par semaine, et à chaque fois, au moment de rentrer, j'hésitais. Je voulais plus rentrer chez moi, par haine de ma mère, et par peur de me jeter par la fenêtre, comme ça. J'avais même pas vraiment envie de mourir, ça n'était plus que de la pulsion pure et dure. Je faisais plus de plan pour gagner des thunes et partir, mais je prévoyais simplement dans quels endroits squatter, quand je partirais. Au risque de paraître à tout le monde complètement maboule (mais on n'en est plus à ça près...) j'avais jeté mon dévolu sur le cimetière. Là, au moins, j'aurais la paix.


Un jour, je suis partie. Une dernière engueulade, ma mère qui hurle et tape sur tous les murs de l'apparte, moi qui ne pipe mot mais me jette sur le rasoir le plus proche: j'ai fait mon sac, embarqué quelques trucs, et je me suis tirée. J'ai même descendu les poubelles avant de claquer la porte, et ma mère ne s'est rendue compte de rien, parce que je devais aller voir une amie ce jour là. Pendant toute l'aprème qui a suivi, j'ai essayé de parler à qui aurait bien voulu comprendre la merde noire dans laquelle j'étais. Ma pote n'a pas compris. Y était tellement défoncé qu'il n'a pas compris non plus. Une autre était injoignable. J'ai fini par appeler mon mec, B. Au téléphone, au début, il n'a pas saisi le changement. On en était plus à une engueulade supplémentaire, avec ma mère, mais cette fois-ci c'était différent. Je voulais plus retourner chez moi, pas après avoir fait mon sac, pas après tout ça.

De fil en aiguille, je me suis retrouvée à l'hosto, le soir même. J'y suis restée deux mois, le temps de faire comprendre à ma mère qu'on ne retournerait pas en arrière, le temps de trouver un apparte, de comprendre aussi que tout n'était pas de ma faute. Une fois que j'ai été installée, seule dans 15m² ce coup-ci, M a pu revenir en fanfare. Je n'avais jamais eu aussi peu de vie sociale; je vivais la nuit et dormais le jour, je n'avais pas d'argent et enfin bref, les seuls moments d'éveil que j'avais, outre mon mec, c'était les bouts de verre dans le bras et les orgies de bouffe.

J'ai tenu deux mois à ce régime là, et un soir où j'ai coupé trop fort, je me suis renvoyée à l'hosto. Comme la première fois, c'est moi qui y suis allée de mon plein gré. Pour 5 points de suture seulement. Les infirmiers, les médecins m'ont dit, une fois que j'ai été recousue, que je pouvais bien rentrer chez moi, maintenant, mais j'ai refusé. J'ai demandé à être ré-hospitalisée, je m'étais tout d'un coup rappelée toute ma logique d'autodestruction, ma guerre entre prénoms, ce désir suicidaire de renaissance. Loin d'avoir enterré tout ça, j'avais foncé en plein dedans. C'était pas le seul problème, c'est sûr, mais ça y faisait.



Et avec mes bras déchiquetés et en lambeaux, j'ai d'abord pas voulu réaliser que si je continuais comme ça, j'allais finir par me crever, tout simplement. J'obéissais à cette "voix" qui me disait de couper toujours plus fort et toujours plus près des veines, et je n'avais tout simplement plus aucun recul. Mais j'ai commencé à parler de M aux infirmiers, à David, principalement. C'est lui qui m'a dit que je devais arrêter maintenant, j'étais allée suffisamment loin comme ça. Vous savez, j'ai presque l'impression que la bataille contre M, c'est lui qui l'a menée. A l'hosto, j'ai fait des crises d'angoisse encore plus monstrueuses que tout ce que j'avais fait avant, j'ai fugué, erré dans l'hôpital des heures durant, à la recherche de n'importe quoi qui pourrait me servir à me charcuter; j'ai envoyé valser toutes mes affaires dans tous les sens, tapé dans des murs, hurlé. Quand il était là, David me poussait à bout. Il me disait que je m'appelais A et non pas M, qu'elle n'existait d'ailleurs pas. Il m'envoyait les vigiles quand je partais - et au final, on a finit par m'attacher quand ça allait trop loin. ça, par contre, ça a carrément calmé mes coups de furie.

Et puis en trois mois, on a finit par trouver l'explication de la scarification, avec la psy, et aidée par une autre patiente du service, qui s'était mise en tête de me masser à chaque fois que ça allait mal. On a découvert qu'inconsciemment, mes bras étaient restés à ma mère, d'où mon envie furieuse de m'en débarrasser. Il y a aussi eu cette dernière crise, où David est resté avec moi tout le long. Même si tout ça est imaginaire, je sentais à l'intérieur comme deux instances qui se tapaient dessus, et à la fin, c'est comme si M était partie. S'était éloignée. Après, j'ai revu mon père. On a décidé, avec ma psy et mon éduc, que j'allais prendre le prénom qu'il voulait pour moi, depuis le début. Un autre A, mais avec un H à la fin - et ma psy a conclu que j'y "tenais, hein, à ma hache", avec un petit sourire.


ça m'arrive encore, des moments où je me sens regardée par une grande femme maigre, de temps en temps. Mais au final, c'est comme si les personnalités avaient trouvé un certain équilibre, puisque ni A ni M n'ont gagné.


Et puis bon. Les problématiques de ce soir me semblent un peu liées à cette histoire de "quelle image projeter aux autres". Je n'ai peut-être plus besoin d'être maigre et de lui ressembler, à cette M. Peut-être que je n'ai plus besoin de me protéger autant, à présent. A avec sa hache à la fin a peut-être suffisamment de force.

ça m'a grave calmée, d'écrire tout ça.

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Commentaires
L
c'est troublant j'en chialerais presque... j'espère vraiment que tu vas trouver ce putain d'équilibre, et quand tu y seras arrivée tu me le donnes ton truc dac ? bonne nuit et bravo pour tout ça, A.!
l'Extincteur
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